Passer l’aspirateur, vider le lave-vaisselle, lancer une machine, étendre le linge, repasser, nettoyer les sols, les vitres, faire les courses, … Je peux déjà vous imaginer lâcher un énorme soupir d’exaspération ! Les tâches ménagères font parties de la vie. Elles doivent être faites à un moment ou à un autre pour le bon fonctionnement d’un foyer.
Dans mon activité de home organiser, les femmes que j’accompagne me disent toujours la même chose: elles se sentent débordées. Qu’elles soient en couple, mères de famille ou non, elles subissent toutes la pression sociale. Cette injonction à être la femme et la mère parfaite.
Aujourd’hui j’avais envie de partager mon point de vue sur ce sujet qui en dit long sur le chemin qu’il reste encore à faire pour une société plus égalitaire.
La charge mentale repose bien plus sur les épaules des femmes
Le concept de charge mentale a été défini par la sociologue Monique Haicault en 1984 comme le fait de devoir penser en même temps à des choses appartenant à deux domaines physiquement séparés. Par conséquent, la charge mentale n’est pas vraiment un cumul de tâches ou le fait de vivre une « double journée ». En réalité, c’est plus complexe que cela. La charge mentale, c’est surtout le fait de vivre en même temps deux charges qui se trouvent dans des domaines ou espaces différents: penser à tout ce qu’il va falloir faire en rentrant à la maison pendant qu’on rédige un mail à un client par exemple. La personne pense à une charge qui se trouve dans un autre lieu/domaine pendant qu’elle est physiquement ailleurs.
La charge mentale peut toucher tout le monde. Les femmes comme les hommes. Mais les chiffres sont là. 8 femmes sur 10 (77%) déclarent avoir trop de choses à faire et 2 sur 3 (63%) considèrent qu’elles sont plus touchées par la charge mentale que les hommes (sources: Ipsos).
Devoir penser à 1000 choses, organiser le quotidien pour toute la famille, gérer les tâches pour qu’une maison tourne correctement, s’occuper des enfants tout en travaillant c’est un boulot colossal !
Le sentiment de toujours courir après le temps, mêlé à celui de ne pas être à la hauteur de toutes ces injonctions, génèrent des tensions, du stress et parfois de l’épuisement.
Et qu’est-ce qu’on leur rabâche à longueur de journée à ces femmes? On leur conseille de lâcher prise… On leur dit d’arrêter avec leur perfectionnisme mais on leur montre des images de la vie parfaite sur les réseaux sociaux. On leur demande d’être sur tous les fronts mais d’apprendre à déléguer en acceptant que les choses ne soient pas faites comme elles le voudraient. Je plaide coupable. Je le dis aussi ! Bien sûr, si on se sent au bord du burn-out, il est évident que lâcher prise et se concentrer sur des priorités va être salvateur. Mais concernant les tâches domestiques, qu’en est-il de la pression sociale, des stéréotypes de genre et de la répartition inégale des tâches au sein des foyers ?
Les choses évoluent mais si on est vraiment honnête, elles évoluent lentement. Si tout le monde semble être de bonne volonté, nous devons continuer de nous questionner sur certains faits. Les périodes de confinement pendant la crise de Covid-19 ont particulièrement démontré ces inégalités. Même si les hommes font de réels efforts, les femmes qui s’occupaient déjà plus des enfants et des tâches domestiques avant la crise sanitaire, ont continué à le faire plus que les hommes pendant la pandémie (étude de Hugues Champeaux et Francesca Marchetta « Les couples pendant le confinement : « La vie en rose » ? » disponible ici: https://www.insee.fr/fr/statistiques/6667283?sommaire=6667356).
Mais pourquoi n’arrive-t-on pas encore à partager les tâches domestiques équitablement ?
La réalité c’est que les femmes subissent en permanence des stéréotypes de genre. Les femmes demeurent assignées à certaines tâches, certaines « aptitudes naturelles », certains rôles sociaux « traditionnels ». Culturellement il y a encore tellement de travail. On n’efface pas des centaines d’années de patriarcat aussi simplement. Et le pire c’est que nous avons tous tendance à y participer parfois sans nous en rendre compte.
Les garçons deviendront potentiellement des pères et les filles des mères (qui n’ont pas hérité du gène des tâches ménagères !). Mettre le linge sale dans le panier, plier le linge, nettoyer quand on salit, mettre la table, faire la vaisselle, ranger et prendre soin de ses affaires : il n’y a aucune raison pour qu’un jeune garçon ne sache pas le faire. Ils ne doivent pas apprendre à « aider » leurs mères, leurs sœurs ou leurs partenaires. Ils doivent apprendre à faire leur part. Les filles ne peuvent plus être culturellement considérées comme plus aptes et concernées par le travail domestique. Elles ne sont pas plus « aptes » mais apprennent très tôt les normes sociales.
Dès l’âge de 2 ou 3 ans les enfants se comportent en fonction de leur genre en observant et en imitant leurs parents. Ils comprennent rapidement le rôle de chacun. Les tâches féminines seraient plutôt intérieures : faire le ménage, la cuisine, prendre soin des autres et organiser les activités familiales. Les tâches masculines seraient plutôt tournées vers l’extérieur: bricoler, jardiner, s’occuper de la voiture, emmener les enfants au sport.
On pourrait dire que les tâches « féminines » relèvent de l’intendance, de la gestion pendant que les tâches « masculines » pourraient être assimilées à des loisirs.
Vous trouvez que c’est exagéré? Eh bien non, le bricolage ou le jardinage peut facilement être remis à plus tard par exemple, alors que la préparation des repas, la lessive et la vaisselle c’est tous les jours qu’il faut s’en préoccuper. D’où le coût psychique plus fortement ressenti par les femmes qui s’en chargent majoritairement.
Les tâches domestiques ne sont pas socialement valorisées (tenez comme c’est bizarre… Ne sont pas valorisées les tâches que les femmes sont sommées de savoir parfaitement faire depuis des siècles pour être la « bonne épouse de service »). C’est bien dommage parce qu’elles sont essentielles pourtant. Ce sont des savoir-faire de base pour être autonome. Personnellement, ce que je trouve encore plus déplorable (et donc pas très valorisant pour ces messieurs) c’est quand un homme demande systématiquement à sa femme où se trouvent les choses comme s’il n’habitait pas ici. C’est quand un homme ne connaît pas la pointure de ses enfants, ou les traitements qu’ils prennent quand il doit s’occuper seul de les emmener chez le médecin. C’est quand un homme attend qu’on lui donne une médaille parce qu’il a nettoyé la terrasse…
Bref, tous les comportements de ce type participent à perpétuer les stéréotypes de genre.
Pour ne rien arranger, au-delà des tâches ménagères concrètes viennent s’ajouter toutes les problématiques d’anticipation (ce que les hommes ont bien dû mal à se représenter). Parce que la charge mentale des femmes c’est aussi quand elles doivent :
- organiser les vacances de A à Z
- organiser les anniversaires et les repas de famille de A à Z
- penser à payer la cantine des enfants
- réfléchir à un cadeau d’anniversaire pour leurs belles-mères
- devoir rédiger elles-mêmes la liste de courses pour tout le monde etc
C’est fatiguant de se retrouver en permanence dans des situations où les hommes attendent systématiquement des femmes qu’elles soient dans leurs rôles.
Alors je ne vais pas faire le procès de la gente masculine, mais ce serait bien normal qu’ils fassent leur part sans penser qu’ils « aident leurs conjointes ». Alors plutôt que de dire : « Mais repose-toi ce week-end, arrête-toi deux minutes » (en pensant bien faire bien entendu) faites les tâches! Au final, madame se retrouve avec une montagne de tâches en retard le lundi parce que bien sûr personne n’aurait eu l’idée de faire les choses à sa place…
Par où commencer ?
Alors même si je suis parfois la première à dire à mes clientes que rien ne va s’écrouler si une lessive est en retard, je crois qu’il faut d’abord faire l’effort de changer nos automatismes au sein de la sphère familiale.
Il s’agirait de s’éduquer soi-même (donc ses enfants par la même occasion) à:
- éviter les phrases renforçant les stéréotypes comme: « tu bricoles comme papa », « arrête de pleurer comme une fille » etc
- encourager les jeux d’imitation sans distinction de genre (les garçons peuvent jouer à la dînette et les filles aux voitures)
- expliquer comment maman et papa peuvent parfaitement faire les mêmes activités (comme bricoler à la maison, faire à manger, ranger la cuisine, corriger les exercices de maths etc) parce qu’il suffit d’apprendre à le faire
- apprendre à ses enfants comment ranger, prendre soin de leurs affaires en acceptant qu’ils ne le feront pas comme vous (l’article Le rangement et les enfants: et si on jouait à ranger? vous donnera des pistes pour encourager vos enfants à ranger)
- encourager leur autonomie pour s’occuper de leurs affaires puis des affaires communes au foyer
Pour lutter contre les stéréotypes il faut s’écouter parler. Prendre conscience que l’on véhicule inconsciemment des comportements normés qui influencent des rôles prédéfinis dans la société et faire l’effort de les corriger autant qu’on peut. Si l’on veut alléger la charge mentale des femmes et faire baisser la pression sociale qui reposent sur elles, avant de leur dire de « lâcher prise », il faut questionner nos clichés, nos pensées normatives et nos comportements conformistes en tentant d’éviter de les transmettre à nos enfants.
Parce que ça commence par là. Parce que les stéréotypes de genre, que l’on plaque sur les enfants dès le plus jeune âge, conduisent à des inégalités concernant le choix des activités que l’on fait, des études que l’on décide d’entreprendre, du métier que l’on va exercer.
Puisque de toute façon il faut les faire, les tâches domestiques ne devraient pas être une question de genre mais une question de personnes propres et autonomes.
Charlotte, Bel & bien rangé